Editos
La perception de l’entrepreneuriat au fil du temps : XIXème –XXIème siècle.
« Il n’y a de classe dirigeante que courageuse. A toute époque, les classes dirigeantes se sont constituées par le courage, par l’acceptation consciente du risque. Dirige celui qui risque ce que les dirigés ne veulent pas risquer. Est respecté celui qui, volontairement, accomplit pour les autres les actes difficiles ou dangereux. Est un chef celui qui procure aux autres la sécurité en prenant pour soi les dangers.
Le courage, pour l’entrepreneur, c’est l’esprit de l’entreprise et le refus de recourir à l’Etat; pour le technicien, c’est le refus de transiger avec la qualité; pour le directeur du personnel ou le directeur d’usine, c’est la défense de la maison, c’est dans la maison, la défense de l’autorité et, avec elle, celle de la discipline et de l’ordre.
Dans la moyenne industrie, il y a beaucoup de patrons qui sont à eux-mêmes, au moins dans une large mesure, leur caissier, leur comptable, leur dessinateur, leur contremaître; et ils ont avec la fatigue du corps, le souci de l’esprit que les ouvriers n’ont que par intervalles. Ils vivent dans un monde de lutte ou la solidarité est inconnue. Jusqu’ici, dans aucun pays, les patrons n’ont pu se concerter pour se mettre à l’abri, au moins dans une large mesure, contre les faillites qui peuvent détruire en un jour la fortune et le crédit d’un industriel.
Entre tous les producteurs, c’est la lutte sans merci; pour se disputer la clientèle, ils abaissent, jusqu’à la dernière limite dans les années de crise, le prix de vente des marchandises, ils descendent même au-dessous des prix de revient, ils sont obligés d’accorder des délais de paiement démesurés qui sont pour leurs acheteurs une marge ouverte à la faillite et, s’il leur survient le moindre revers, le banquier aux aguets veut être payé dans les vingt-quatre heures.
Lorsque les ouvriers accusent les patrons d’être des jouisseurs qui veulent gagner beaucoup d’argent pour s’amuser, ils ne comprennent pas bien l’âme patronale. Sans doute, il y a des patrons qui s’amusent, mais ce qu’ils veulent avant tout, quand ils sont vraiment des patrons, c’est gagner la bataille. Il y en a beaucoup qui, en grossissant leur fortune, ne se donneront pas une jouissance de plus; en tout cas ce n’est point surtout à cela qu’ils songent. Ils sont heureux, quand ils font un bel inventaire, de se dire que leur peine ardente n’est pas perdue, qu’il y a un résultat positif, palpable, que de tous les hasards, il est sorti quelque chose et que leur puissance d’action s’est accrue.
Non, en vérité, le patronat, tel que la société actuelle le fait, n’est pas enviable. Et ce n’est pas avec les sentiments de colère ou de convoitise que les hommes devraient se regarder les uns les autres, mais avec une sorte de pitié réciproque qui serait peut-être le prélude de la justice ! »
Mis à part quelques passages d’un style qui trahit son époque, cette démonstration qui date de la fin du XIXème siècle n’est-elle pas d’une actualité déconcertante ? La condition de l’entrepreneur, l’environnement dans lequel il évolue, les contraintes auxquelles il doit faire face (concurrence, trésorerie, banquiers,…), sa volonté de s’affranchir de l’Etat, son exposition au risque, le regard que l’on porte sur lui, tout est encore vrai aujourd’hui au XXIème siècle. Si les techniques et les modes de communication ont évolué , les préjugés restent cependant tenaces; on dit qu’il faut 400 ans pour les faire disparaître !
Son auteur, Jean Jaurès, député socialiste membre de la SFIO, le 28 mai 1890, un social libéral ?
Thierry POUROT
Associé Gérant
CABINET RICHEMONT
Rapprochement & transmission d’entreprises